Mohamed Ben Saïd Aït Idder-Le goût des rencontres

Un hommage en souvenir de celui qui s’engageait pour l’union de la gauche. Un hommage à l’occasion de la première année après sa disparition le 6 février 2024. Des souvenirs d’une dignité dans le comportement.

On l’appelait « Ben Saïd ». Quel était son prénom ? Quelle était la région d’où il était originaire ? Je n’avais que la certitude de sa traversée de résistant et d’opposant et de sa quête d’indépendance véritable.

Un an après ta disparition, je voulais partager avec toi, cher Ben Saïd, ces périodes que tu as traversées bien avant moi. Un chemin de clandestinité et d’exil où les questionnements et les doutes n’étaient pas absents.

Je ne pense pas l’avoir déjà fait. L’occasion pour moi ne s’est pas présentée. Probablement que c’est avec mon ami, camarade et conjoint, Abdelghani, que tu en avais discuté.

Notre première destination de clandestinité a été Tripoli. C’était ma première rencontre avec le premier décideur et responsable de la branche armée de l’UNFP, Mohamed Basri, le Fqih.

Nous étions jeunes, nous avions confiance, nous avions tout quitté, père, mère, famille et biens. C’était la clandestinité que je découvrais auprès de militants que je ne connaissais pas encore. Période libyenne où l’on devait se préparer pour la révolution.

Puis, il y eut Oran avant de poursuivre cette clandestinité à Alger, cette ville que tu as traversée dans ton parcours de résistant et d’opposant à toute servitude.

Rencontre à Oran avec ces combattants qui avaient participé aux évènements de guérilla du 3 Mars 1973. Ils avaient fui la répression. Ils avaient traversé les forêts entre Oujda et Oran en risquant leur vie. De leurs parcours, ils ont laissé des témoignages de leur participation à cette guérilla qui permettent de comprendre non seulement les situations vécues mais aussi d’évaluer l’organisation et les directives données.

À Alger, j’avais eu la chance et le plaisir de rencontrer certains anciens combattants de l’Armée de Libération Nationale. Ils échangeaient des souvenirs de leur résistance au colonialisme et de leurs combats après l’indépendance pour la libération des territoires du Sahara occidental. M’avaient-ils parlé de toi, Mohammed Ben Saïd, Khalid de ton nom d’emprunt ? J’avoue que je ne m’en rappelle plus.

Comme toi et probablement avec toi, ils avaient poursuivi leur combat dans le Sud de 1958 à 1960 pour libérer les territoires du Sahara occidental colonisés par l’Espagne. « Les masses populaires dans le Sahara occidental avaient répondu avec enthousiasme à cette initiative », disaient-ils. Mais, comme tu l’as vécu, au moment même où cette Armée de Libération Nationale du Sud remportait des victoires importantes, la monarchie marocaine par la voie du prince héritier Moulay Hassan, futur roi Hassan II, entamait une série de complots visant à liquider le mouvement de libération dans la région. 

Pour le résistant que tu as été, comme pour eux tous, comment ne pas être dans une opposition radicale pour réclamer ce qui était de votre droit : la reconnaissance de vos sacrifices pour une véritable libération et indépendance ?

Pour certains, la lutte armée devait être la voie de l’affranchissement de toute domination.  Mais était-il si urgent de mener une guérilla qui exige une organisation solide et surtout un encadrement politique ?

Notre réponse aux dominants a été une multiplicité de positions, de comportements et d’actions. Des réponses qui progressivement révélèrent des positions divergentes voire conflictuelles. N’était-ce pas ce qui t’avait poussé de te démarquer de Mohamed Basri en faisant le choix de quitter Alger pour Paris en 1967 ?

Nous qui venions d’arriver dans la clandestinité, nous avions des certitudes qui n’étaient pas, pour nous, des rêves. Même si ces certitudes ont soulevé plus tard, des questionnements et surtout des doutes. Nous avions aussi quitté, en fin 1974, Alger pour Paris.

Et ce fut la rencontre avec toi pour partager des années d’exil : nous, jeunes, dans notre critique de l’aventurisme et du réformisme. La constitution d’Option Révolutionnaire et notre critique de l’orientation de l’USFP qui rentrait dans la phase de négociations avec le pouvoir. Toi qui, après ta phase de clandestinité et de quête de justice et de droit, avais scissionné de l’UNFP pour fonder avec d’autres militants le Mouvement 23 mars en 1970.

C’était plutôt avec Abdelghani que ces échanges étaient soutenus. Malgré des divergences de positions, vous aviez toujours maintenu des relations proches et de respect. Vous étiez tous les deux des hommes de dialogue. Vous aviez ce « goût des rencontres ».

Comment oublier cet émouvant message que j’avais reçu de toi après son décès à l’âge de 49 ans, le 21 septembre 1998 ? « Nous sommes solennellement debout pour toi, notre très cher ami qui nous a quittés au sommet de sa contribution militante et politique ».

Des rencontres, des actions communes avec d’autres mouvements ou Partis. Mais le sectarisme n’y a jamais été absent ! Un sectarisme démobilisateur, des erreurs que nous avions faites et sur lesquelles il faudra se pencher pour que les générations ne les reproduisent pas. Ces générations commettront sûrement des erreurs, mais il ne faudrait pas que ce soient les mêmes que les nôtres.

Il fallait, en exil, sensibiliser l’opinion internationale aux exactions du régime marocain et convaincre les Marocains à l’étranger de la nature du régime et de l’engagement pour un État de droit.

Des rencontres à ce sujet autour des publications « Solidarité », bulletin du 23 Mars et « Option Révolutionnaire ».

Dans plusieurs échanges ou débats sur la démocratie, nous faisions des constats sur les limites de la pratique en Démocratie.

Comment défendre la démocratie quand on réitère des attitudes anti-démocratiques ? Parmi ces fondamentaux de la démocratie : celle de l’égalité des genres.

 Toi que le sourire tranquille ne quittait pas, tu semblais avoir dépassé cette culture du pouvoir masculin. Une culture, ma foi, universelle même dans des pays que l’on cite en exemple de démocratie. Au sein des mouvements progressistes les plus radicaux, certains comportements reproduisent les hiérarchies existantes au sein du Pouvoir dominant.

Au-delà des discours, quels sont nos comportements face à l’emprise d’une domination systémique ? Quels efforts pour nous remettre en question ?

 Ce sont les faits et les actes, disions-nous ensemble, qui permettent de clarifier les fondamentaux de la dignité humaine : le droit, la liberté et la démocratie.

Il te fallait alors œuvrer pour une union qui ouvrirait la voie pour un État de droit et véritablement indépendant. Et tu t’es attelé au rassemblement des forces progressistes avec la constitution de la Koutla en 1992.

Faire des concessions sur certaines de tes positions, tu l’admettais. Mais tu n’as pas hésité à choisir ta liberté d’expression lors du vote référendaire de la constitution de novembre 1996. Tu t’étais abstenu en déclarant « nous souhaitons nous être trompés ».

Pour nous, les directives données pour cette nouvelle constitution avaient codifié une situation juridique qui a toujours alimenté la crise politique, économique et sociale.

Malgré les réserves que nous avions sur la Koutla, nous avons salué ton courage à exprimer librement ta position selon laquelle « le Maroc a besoin d’une constitution qui soutienne la comparaison avec celles universellement reconnues ». Selon toi le projet de constitution n’abondait pas dans ce sens.

Pensais-tu toujours « t’être trompé » d’avoir fait le choix de l’abstention ?

Tu avais déclaré néanmoins qu’une fois la constitution votée, « nous la respecterons ». Pour toi le rassemblement est une nécessité quelles qu’en soient les divergences. Mais sans te démettre de ta liberté d’expression.

Tu as eu souvent le courage de tes positions quand tu étais en exil et depuis ton retour d’exil.

Ta conviction sur les Droits humains et tes actions en leur faveur ont été clairement exprimées au milieu des parlementaires lorsque tu as a soulevé le scandale du mouroir de Tazmamart.  Quand tu as refusé le baise-main du Roi dans ton opposition à la soumission.

Incontestablement, le résistant que tu as été et le farouche opposant qui a essuyé tortures, clandestinité et exil ne pouvait pas se soumettre.

C’est cette dimension que l’on retiendra.

Tu étais aussi habité de cette modestie, cette humilité qui te rapprochaient des populations.

Je me souviens de ce jour de mars 2011, à la seconde manifestation du mouvement du 20 février. Je ne pouvais pas t’approcher. Les jeunes étaient autour de toi, te congratulaient et voulaient probablement même te porter…Ils avaient confirmé ce que tu disais en 1996 : la nécessité d’éviter « la gérontocratie politique ».

En leur laissant l’espace de t’approcher, je ne pouvais que les remercier d’avoir clamé avec force « où sont les luttes passées…elles ne font que progresser. »

 Tu as voulu saisir des opportunités pour avancer. Il y eut des avancées dans notre pays grâce aux différents combats des mouvements progressistes mais, comme tu le disais, « en deçà des ambitions actuelles du pays ».  Et en deçà des sacrifices endurés, dirais-je.

Hayat Berrada-Bousta
7 février 2025