Le 14 juin 2025, l’Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante a organisé une rencontre en hommage à Rhita Bennani – Ben Barka, inaugurant aussi l’année du 60ème anniversaire de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka.
L’une des interventions s’est penchée sur la moudawana, à savoir le droit de la famille au Maroc, qu’a largement commentée avec précision, Latifa El Bouhsini professeure à la faculté des sciences de l’éducation à Rabat et spécialiste de l’histoire des femmes et des questions genre.
Latifa El Bouhsini a coordonné avec Assia Benadada une étude réalisée par le Centre d’histoire du temps présent, un ouvrage sous le titre, le mouvement des droits des femmes au Maroc: approche historique et archiviste.
D’abord, je remercie l’Institut Mehdi Ben Barka de m’avoir associée à cette rencontre en hommage à Feue Ghita Bennani…C’est un honneur pour une militante comme moi d’être présente aujourd’hui pour commémorer la mémoire de celle qui a accompagné un grand homme dont l’idéal auquel il a consacré sa vie a bercé des générations et continue toujours.
On m’a demandé de parler des droits de la femme marocaine à la lumière de la moudawana.
Je le ferai en mettant l’accent à la fois, sur le contexte et ses évolutions, ainsi que sur le rôle du mouvement féministe et ses apports.
Je souligne que, hormis la moudawana, de multiples combats relatifs à la reconnaissance de l’égalité et de la non-discrimination en matière de droits ont marqué les quatre dernières décennies au Maroc et ont réussi à arracher un certain nombre d’acquis. Ces combats correspondent d’ailleurs à la naissance des premières associations féministes postindépendance, dont une commémore aujourd’hui même à Casablanca son quarantième anniversaire (Il s’agit de l’ADFM).
En l’espace de 40 ans, parmi les différents combats féministes, celui relatif à la réforme du code de la famille, a constitué l’enjeu majeur. Aussi bien en termes de durée qu’elle a nécessitée, de débat qu’elle a suscité, de mobilisations qu’elle a enclenchées, de négociations et tractations qu’elle a imposées, de réflexion voire même de travaux de recherche auxquels elle a donné lieu, la réforme de la moudawana s’est imposée comme l’enjeu qui incarne, symbolise et constitue le nœud structurant autour duquel les différents autres enjeux se sont imbriqués.
Loin d’être aisée, la lutte pour réformer la moudawana s’est avérée et s’avère toujours très complexe et très compliquée. Car, elle polarise des domaines dont la tension rend difficile la convergence.
Pour aborder les luttes sans relâche menées par les féministes pour réformer ce code, je vais les décliner en trois grands moments :
• Premier moment, dans les années 90.
• Deuxième moment est celui du début des années 2000 ;
• Troisième moment est celui qui a été déclenché en 2022 et est toujours en cours.
Le premier moment
Je rappelle d’abord que les premières organisations féministes du Maroc postindépendance ont vu le jour dans les années 80. Les militantes qui en ont initié la création sont le produit de l’accès à l’éducation ainsi que de l’accès au marché de l’emploi rémunéré. Elles ont par ailleurs évolué dans un contexte politique marqué par la répression et les limitations des libertés publiques sous un régime autoritaire qui a marqué d’une main de fer les années dits de plomb (les années 60 – 70 – 80). Certaines fondatrices de ces associations ont elles-mêmes fait les frais de la répression et ont payé un tribut lourd de leur engagement. Toutefois, « à toute chose malheur est bon », cette expérience jonchée de souffrances leur a permis d’apprendre sur le terrain, d’aiguiser un savoir-faire militant et de forger un capital politique qui leur a profité dans leur lutte pour les droits des femmes.
Il est également important de noter que les changements qui ont touché la structure familiale du Maroc de l’époque, par le truchement d’une multitude de facteurs, notamment d’ordre socio-économique, ont affecté la division du travail et la répartition sexuelle des tâches, rendant de ce fait visible, à la fois la hiérarchie en termes de droits, de ressources et de pouvoirs, et surtout la non-reconnaissance de toutes les responsabilités familiales qu’assument les femmes. Ce qui n’a d’ailleurs pas tardé à susciter leur refus, devenu plus tard un enjeu militant collectif.
Je tiens à rappeler que le texte de la moudawana adopté en 1957-1958, n’a fait au fond que reprendre les juridictions qui existaient déjà et qui régissaient une société plutôt traditionnelle, fondée sur un partage des rôles, dont ceux assumés par les femmes étaient invisibles et non-reconnus puisque domestiques. C’est une loi marquée par une conception très hiérarchique, où la femme est un être soumis à l’autorité de l’époux, celui-ci se devant de l’entretenir. Or, la réalité vingt ans plus tard, l’adoption du CSP, a montré les limites de cette conception.
Ce sont d’ailleurs les contradictions entre la loi et la nouvelle réalité qui vont donner naissance à une expression collective revendiquant la réforme à l’aune de ces changements.
Faut-il rappeler que pendant longtemps, il fut très difficile, sinon impossible de toucher à ce texte. Plusieurs tentatives de réformes (1961, 1968, 1982) ont échoué. Et ce n’est qu’en 1993 que cette « sacralité » de la loi allait relativement être levée grâce à la lutte des féministes.
Il s’agit notamment d’une initiative de l’UAF, qui consistait au lancement d’une pétition pour collecter un million de signatures revendiquant la réforme du code. Le texte de la pétition inscrit la révision des points suivants :
– L’élévation de l’âge de mariage pour les filles (qui était de 15 ans) ;
– L’annulation de la tutelle matrimoniale pour les femmes ;
– L’instauration du divorce judiciaire pour mettre fin aux abus et aux difficultés qui se dressaient devant les épouses qui voulaient divorcer ; – L’interdiction de la polygamie ;
– La reconnaissance du droit de tutelle sur les enfants pour la femme au même titre que l’homme.
Pour assurer le succès nécessaire à la campagne, les militantes de l’UAF faisaient du porte-à-porte pour collecter les signatures, et menaient un véritable travail d’explication pédagogique et de sensibilisation générant de ce fait, une mobilisation dont l’ampleur a surpris jusqu’aux initiatrices. C’est dire, les attentes qui se tramaient au sein de la société. En plus, pour élargir l’adhésion à la campagne, un conseil de coordination entre les différentes associations et secteurs féminins des partis politiques de gauche a vu le jour. Or, sans grande surprise, cette mobilisation a suscité une résistance farouche et une opposition virulente de la part des tenants du maintien de la hiérarchie au sein de la famille sous couvert de la défense de la chariaa…Et ceux-là se composaient aussi bien des représentants de l’Islam officiel (l’Islam étant la religion d’Etat) que de l’Islam dit politique, à travers des courants qui commençaient à devenir un acteur politique et incontournable.
Ceci étant dit, Il y a un élément important à rappeler relativement au contexte politique dans lequel se déroulait cette mobilisation. Il s’agit des négociations pour une réforme constitutionnelle et une possible alternance politique, entre le régime de Hassan II et les partis de l’opposition, constituée principalement de la gauche dont sont issues les féministes. De ce fait, la mobilisation qui a enclenché une véritable dynamique, ne devait ni ne pouvait être négligée. Constatant l’hésitation des partis de l’opposition, notamment l’USFP et l’Istiqlal, qui ne voyaient pas d’un bon œil la présence féministe sur le terrain de la revendication, Hassan II est intervenu pour y mettre fin et s’accaparer à sa manière la montée en puissance du féminisme. C’était également sa façon de tenir les ficelles et d’imposer le rythme des négociations avec l’opposition, sans oublier le recadrage des islamistes par rapport à l’instrumentalisation de la religion. D’une main de maître, il a fait d’une pierre deux coups.
Dans son rôle d’arbitre en tant que Commandeur des Croyants, le Roi a mis en place une commission composée exclusivement des Oulémas / fouqahas et juristes pour élaborer un nouveau code. Presque une année plus tard, après avoir écouté et reçu les propositions et les doléances des différents acteurs, une réforme était annoncée.
Or, restant en deçà des attentes des féministes, cette réforme n’a introduit aucun changement important. Les seuls points qui ont été révisés sont les suivants :
– L’information des deux épouses en cas de décision de polygamie ;
– La garde de l’enfant passe chez le père en seconde position ;
– La levée de la tutelle pour les filles orphelines de père.
Il s’est agi d’une première tentative dont le seul mérite consistait en la levée de la sacralité. Par ailleurs, elle a prouvé l’importance de la mobilisation d’une part, l’impact de la relative ouverture de l’espace des libertés publiques d’autre part. Et surtout, la détermination des associations féministes qui, malgré toutes les tentatives d’intimidation qu’elles ont subies, ne se sont pas résignées et ont décidé de poursuivre leur combat pour une loi plus juste et plus égalitaire. (Ce qui nous ramène au deuxième moment)
Le deuxième moment de mobilisation suivi de réforme est celui qui coïncide avec l’arrivée du gouvernement dit d’alternance en 1998. Il faut rappeler que de nouvelles négociations ont eu lieu après l’échec des premières et ont permis à l’ancienne opposition d’arriver aux commandes après la tenue des élections dont les résultats étaient plus ou moins connus à l’avance. Toutefois, loin de démocratiser les institutions, il était davantage question de libéraliser l’espace public. Ce qui a eu un impact positif sur la liberté d’expression et sur les dynamiques de la société civile. Résultat de longs combats menés par les démocrates marocains et par les différents mouvements sociaux.
Dans ce cadre, le gouvernement d’alternance décide de lancer un projet de Plan d’action national pour l’intégration de la femme au développement (Panfid), qui comporte quatre volets : l’éducation, la santé reproductive, le renforcement du pouvoir économique, politique et le statut juridique dont un volet relatif à la réforme du code du statut personnel. Il faut noter que c’est la première fois qu’un gouvernement ose se pencher sur cette loi.
Il s’agissait en l’occurrence des points suivants :
– L’élévation de l’âge de mariage ;
– L’abolition de la tutelle ;
– L’adoption du divorce judiciaire ;
– La réglementation de la polygamie ;
– Le partage des biens acquis pendant le mariage en cas de divorce.
Pour son élaboration, le ministère en charge de ce projet a associé les différents autres ministères ainsi que les associations féministes.
Une fois annoncée en tant que projet, comme pour la première tentative de réforme en 1992, cette dernière n’a pas échappé au refus et à l’opposition des mêmes détracteurs et était à l’origine d’une véritable cabale et d’une mobilisation de tous ceux et celles qui voulaient maintenir la sacralité du code de la famille.
Pendant des mois, les opposants n’ont pas lésiné sur les moyens pour exprimer leur refus catégorique de la proposition de réforme. En revanche, les défenseurs dont les féministes, ont déployé eux aussi toute leur énergie pour exprimer leur soutien au Plan. Au cours des mois, des dizaines de débats, de conférences, de rencontres, de tables-rondes, des sit-in se sont organisés dans différentes villes marocaines, même les plus reculées. La polémique entre les deux camps a atteint son paroxysme en aboutissant à l’organisation de deux grandes marches antagoniques le même jour, à savoir le 12 mars 2000. Une à Rabat, initiée par les féministes et leurs alliés, l’autre à Casablanca, qui a réuni les islamistes et leurs fidèles. La bataille du nombre et du rapport de force mettait de toute évidence, face-à-face deux conceptions de la famille. Le régime a laissé faire, afin d’imposer par la suite ses règles de jeu et ne permettre à aucun camp de dicter sa vision.
Toujours est-il, il faut noter que ce débat public d’une ampleur jamais vu au Maroc, a dépassé en réalité le seul lieu d’une réforme juridique qui concerne la famille pour s’élargir aux questions d’identité religieuse voire civilisationnelle. Les tenants de cette polémique s’étaient, de ce fait, éloignés de la question de la réforme du code du statut personnel, devenu plutôt un prétexte, pour se fourvoyer sur des questions qui renvoient à la place de la religion dans la société comme marqueur distinctif. L’antagonisme entre l’Universel et le spécifique a constitué la bannière à travers laquelle chaque camp inscrivait son projet et sa vision. S’attachant à l’universel, les féministes sont montrées du doigt par les détracteurs ; on les accuse de marginaliser la chariaa, d’être des suppôts de l’Occident, de vouloir des enfants en dehors des liens du mariage, de détruire la famille et de dissoudre les liens sociaux. En somme, tout, pour discréditer leur lutte.
Dès lors, le plan, élaboré dans le cadre d’une longue négociation, est abandonné par le gouvernement. N’étant pas homogène, ni sur le plan idéologique, ni par rapport à la gestion de ce dossier très sensible, le gouvernement n’a pas pu défendre son projet, et le ministre en charge a été lâché et démis de son poste. La société civile se retrouve seule à le défendre. Quant aux féministes, elles décident de créer un collectif nommé « Printemps de l’égalité » pour se concentrer sur l’objectif de la réforme du code loin des joutes qui l’en ont éloigné. Le collectif a livré une des batailles les plus importantes dans l’histoire du mouvement féministe lui permettant de recadrer la mobilisation. Je rappelle que sa création a coïncidé, avec la mise en place par le Roi (Med VI) d’une commission chargée d’élaborer un projet de réforme. Cette dernière se composait des Oulémas et des juristes, tout en s’ouvrant sur d’autres profils, tels que les sociologues et les médecins. En plus, pour la première fois, on a désigné également des femmes, et pas les moindres. Cette ouverture sur les sciences sociales n’est pas à négliger.
Elle a constitué une avancée dans le processus d’humanisation de cette loi que les fouqahas tâchent d’en préserver le monopole. La légitimation religieuse de la monarchie en tant que commanderie des croyants leur octroie ce pouvoir qu’ils défendent bec et ongle.
Quant à la présence des femmes au sein de la commission, inutile d’insister sur la symbolique importante qu’elle revêt et qui tranche avec l’esprit qui vise, à maintenir les femmes dans le statut d’éternelles mineures. D’ailleurs, Nouzha Guessous, médecin et spécialiste en bioéthique, une des trois femmes membres de la commission, témoigne dans son livre (Une femme au pays des Fouqahas) des tentatives d’intimidation qu’elle a elle-même subie par certains Oulémas, membres de la commission. On lui signifie d’éviter de s’exprimer en dehors de sa spécialité et on lui miroite que sa présence dans la commission n’a pas la même valeur que celle que détient un faqih. C’est hélas l’état d’esprit de nos valeureux fouqahas officiels.
Pendant quasiment deux ans, la Commission a reçu une multitude de mémorandums de la part de tous les acteurs. Entre temps, le « Printemps de l’égalité » a maintenu sa mobilisation et a innové en la matière. Laissant la parole aux femmes victimes du code de la famille, le collectif visait à frapper les esprits et à démontrer qu’il s’agit de réelles souffrances exprimées par les concernées. C’est également une manière de prouver qu’il est question d’un devoir éthique et non d’une bataille idéologique.
Un autre point important à souligner.
Tout en inscrivant l’attachement à l’universalité des valeurs des droits humains dans son mémorandum, le collectif a opéré une ouverture sur le référentiel religieux en insistant sur une lecture éclairée et égalitariste. Ceci n’est pas dénué d’importance lorsqu’on se rappelle que c’est sur ce terrain qu’on a cherché à délégitimer la lutte féministe.
Après ce travail sans relâche, la commission a soumis son projet au Roi. Et en octobre 2003, ce dernier annonce les traits saillants du nouveau code. Il a concomitamment fait savoir que le projet sera soumis au Parlement pour adoption définitive par les élus. Une décision d’une grande importance qui annonçait un début de sécularisation d’une loi que d’aucuns tenaient à ce qu’elle reste confinée dans le champ du fiqh et de la chariaa.
A quelques détails près, pratiquement toutes les dispositions qui figuraient dans le plan d’action (le projet gouvernemental) que j’ai déjà mentionnées, ont été révisées.
Inutile alors de rappeler que l’annonce de cette réforme a fait l’effet d’un soulagement dans les milieux des féministes et a été largement applaudi et considérée comme un pas d’une grande importance. En effet, la réforme entreprise en 2004, a sorti cette loi d’une longue litanie. Elle a également démontré l’importance de la mobilisation des féministes sur tous les fronts, de leur force de proposition ainsi que de leur capacité de réadaptation.
Or, comme toute loi, lors de sa mise en application, le code de la famille de 2004 s’est heurté à certaines limites qui vont déclencher un nouveau chantier de réforme.
Ce qui nous ramène au troisième moment…celui que nous vivons depuis 2022
Grâce aux actions sur le terrain et le travail de proximité qu’elles mènent auprès des femmes, notamment celles qui se rendent aux centres d’aide aux femmes victimes de violence, les organisations féministes, n’ont jamais cessé de pointer du doigt certaines problèmes qui ont surgi au moment de l’application du code de la famille.
Il s’agit notamment du mariage des mineures, les difficultés relatives au partage des biens, la question de la tutelle juridique de la femme (divorcée)sur ses enfants.
De ce fait, le mouvement féministe n’a cessé depuis longtemps de tirer la sonnette d’alarme et de revendiquer des révisions…sauf que celles-ci tardaient à venir. Les gouvernements successifs et les acteurs politiques n’y ont prêté aucune attention.
Toutefois, avant d’invoquer le processus et l’actualité de la réforme, je voudrai relater quelques éléments du contexte qui me semblent importants pour mieux apprécier la situation. Je m’arrêterai sur ceux qui me semblent les plus significatifs pour notre sujet.
Le premier élément est celui qui touche à la situation des femmes ;
Le deuxième est celui relatif à l’environnement politique ;
Pour le premier, je rappelle ceci :
• Dans le domaine de l’éducation : Bien qu’il reste encore des disparités entre les régions et les niveaux d’instruction, et même si la déperdition scolaire persiste, notamment parmi les filles, les femmes ont un meilleur accès à l’éducation qu’auparavant. Dans ce cadre, je rappelle que 57,4% des filles sont inscrites dans les instituts et les écoles supérieures…Les facultés de médecine enregistrent un taux de féminisation très important ;
• Dans le domaine de l’emploi : Même si le nombre de femmes diplômées a évolué, le taux de participation à la population active est l’un des plus bas au monde et il a même régressé en vingt ans. La plupart des indicateurs du marché du travail liés à la femme sont en baisse : le taux d’activité féminin est de 19,8% en 2022 (25,6% en 2010), quant au taux d’activité des femmes diplômées (25-59 ans) il est de 33.2% en 2022 (38.7% en 2010). Un paradoxe qui révèle de manière flagrante l’inadéquation entre la formation et l’emploi et pointe du doigt les limites des politiques publiques en la matière.
• Toutefois, malgré leur formation, les femmes ne représentent que 25,5% des auto-entrepreneurs actifs, et la part des femmes dirigeantes et entrepreneuses n’est que de 16,1%.
• Par ailleurs, si la taille de la famille a connu un recul important, le nombre de femmes cheffes de famille ne cesse d’augmenter… Ils sont un peu plus de 3 millions des ménages dirigés par les femmes, qui sont soit veuves ou divorcées et souvent travaillant dans le secteur informel.
• Sur un autre registre, si la présence des femmes dans les institutions politiques officielles reste en deçà de la parité malgré une certaine évolution (+20% de femmes au parlement et aux communes), il n’en demeure pas moins que la présence des femmes dans les différents mouvements sociaux et de protestation révèle une nouvelle réalité. Les Marocaines refusent à présent le statut de victimes dans lequel une certaine tradition patriarcale vise à les confiner pour s’imposer en tant qu’actrices de changement.
• Ainsi, on assiste depuis 2011, à une présence de plus en plus visible des femmes dans l’espace public. C’était déjà le cas dans le cadre du mouvement du 20 février (version marocaine du Printemps arabe) dans lequel les jeunes femmes ont brillé par leur présence. Cette présence s’est confirmée par la suite pendant le Hirak du Rif en 2017, celui de Figuig, ainsi que pendant les grèves des enseignants et des médecins, et lors des différentes mobilisations en soutien pour Gaza. Ce faisant, les Marocaines se sont illustrées par une présence très remarquée et remarquable qui en dit long sur la détermination à s’exprimer et à manifester côte à côte avec les hommes. Cependant, une nuance importante, elles le font en tant que citoyennes qui contestent le modèle de développement basé sur un capitalisme sauvage qui creuse les inégalités sociales et celles du genre. D’où l’importance des droits sociaux et économiques qu’elles revendiquent comme enjeux prioritaires. Ce n’est absolument pas en tant que féministes agissant contre le système patriarcal qu’elles le font. La preuve, elles ne cherchent pas à rejoindre les associations féministes.
Dans ce cadre, je rappelle un autre élément qui a son importance pour mieux apprécier le processus de la réforme. Il s’agit du mouvement féministe qui, depuis un moment et pour des raisons aussi bien internes qu’externes, il connaît un essoufflement certain et des difficultés à se renouveler et à drainer la relève. En revanche, une nouvelle génération est en train d’émerger, mais elle peine encore à s’imposer.
Quant au deuxième élément du contexte qui concerne l’environnement politique, je dois souligner qu’un recul net et des régressions importantes en matière des libertés publiques avec leur lot de répression, de représailles, d’emprisonnement et de détention arbitraire sont enregistrés. L’embellie de la fin des années 90 et du début 2000 n’était qu’une parenthèse qui s’est vite refermée. Les vieux réflexes du régime politique marocain ont resurgi de nouveau en affectant négativement la vie politique. En parallèle, et à cause de certaines erreurs, un fossé entre les partis politiques et la société s’est creusé en fragilisant la confiance et en rendant difficile toute action politique. Ceci n’a épargné aucun des partis qui participent aux élections, qu’ils soient d’obédience islamiste ou de gauche. Il s’agit d’un vrai délitement sinon d’une crise politique profonde.
C’est dans ce contexte que survient l’initiative de la nouvelle réforme du code de la famille au Maroc. Loin de refléter une véritable dynamique de la société, il surgit comme pour donner un coup d’oxygène à un corps qui se bat pour survive.
Sans retentissement et sans donner lieu à un débat comme celui des deux autres moments précédents, un projet de réforme est demandé à une commission mise en place à l’occasion. Pour ce faire, elle a reçu les différents acteurs, y compris les féministes qui lui ont soumis leurs mémorandums respectifs.
Et, pour peser un tant soit peu sur le processus, une coalition composée d’une trentaine d’associations féministes s’est constituée et a présenté ses doléances, dont les points importants sont les suivants :
• La rupture avec le système de Qiwamah basé sur la hiérarchie et qui ne s’accorde plus avec la règle de la responsabilité partagée entre les époux et les épouses ;
• L’abolition du mariage des mineurs et la fixation de 18 ans comme âge minimum légal du mariage sans prévoir d’exceptions ;
• L’interdiction de la polygamie de manière permanente et absolue ;
• L’annulation de la perte du droit de garde en cas de remariage de la mère ;
• La reconnaissance de l’égalité entre les femmes et les hommes quant à l’accès à la tutelle légale sur leurs enfants mineurs ;
• La reconnaissance du droit à la filiation pour les enfants nés hors mariage et l’admission de l’expertise génétique en tant que preuve de filiation paternelle ;
• Et enfin, la révision du droit successoral de manière à garantir l’égalité des droits entre les sexes. (Qui constitue une nouveauté).
Deux années se sont écoulées après l’enclenchement du processus de réforme. Et ce n’est qu’à la fin de décembre dernier, que le ministre des Habous a annoncé les lignes saillantes du projet. Ce dernier a connu des va et vient entre la commission, le cabinet royal et le conseil supérieur des Oulémas. Il semble que ce dernier, bien qu’il figure en bonne place dans la commission, n’a pas approuvé certaines propositions de révisions émanant de ses collègues.
Si l’on se fie à ces annonces, il est déjà évident que ce projet de réforme, non encore adopté, est loin de répondre aux attentes des féministes. Elle révèle d’emblée ses nombreuses limites, dont les plus importantes sont les suivantes.
• Le refus catégorique de reconnaître le test ADN comme une preuve légale pour établir la filiation d’un enfant né hors mariage.
• L’égalité dans l’héritage n’est toujours pas reconnue ;
• La polygamie est maintenue, même si de nouvelles restrictions légales pour en limiter l’application sont prévues.
• La non-reconnaissance d’héritage en cas de différence de religion entre les deux époux, chacun d’entre eux peut cependant recourir à la donation ou au testament ;
Ceci dit, ce projet marque quelques points positifs qui sont les suivants :
• Le maintien de la garde maternelle après le remariage de la mère ;
• Un nouvel encadrement de la gestion des biens acquis pendant le mariage, reconnaissant enfin que le travail domestique de l’épouse constitue une contribution légitime à la construction du patrimoine familial.
• L’instauration de la tutelle conjointe des deux parents, aussi bien pendant le mariage qu’après une séparation.
• Une légère évolution sur la question de l’héritage des filles. Les parents pouvant désormais procéder à une donation de leur vivant à leurs filles, y compris mineures, pour contourner l’inégalité successorale inscrite dans la loi.
• La simplification des conditions de mariage pour les Marocains de l’étranger en supprimant l’obligation des deux témoins musulmans.
Depuis cette annonce, silence Radio. Et à ce jour nous n’avons pas de nouvelle et nous ne savons pas quel sort sera réservé à ce projet de réforme.
Mais en attendant, quelle conclusion pouvons-nous faire ?
D’abord, une conclusion générale par rapport à la réforme du code de la famille. Il est certain que nous avançons, sauf que c’est une avancée très lente qui se fait à pas de tortue.
Pour l’actuel processus de réforme, au vu de la déliquescence qui la caractérise, certaines conclusions s’imposent :
1. Même minimes, les révisions qui toucheront éventuellement certaines dispositions seront les bienvenues lorsqu’on connaît l’actuel rapport de forces et l’état d’essoufflement et de crise politique que nous traversons.
2. Les leçons de l’histoire de la réforme du code de la famille au Maroc, nous apprennent que cette dernière ne se réalise que grâce à un mouvement féministe suffisamment dynamique, politisé, autonome, ayant une vision qui associe la lutte contre le patriarcat à celle contre l’autoritarisme, les violations des droits humains et contre le système économique basé sur la rente et la corruption.
Or aujourd’hui, étant donné l’essoufflement des associations et l’indisponibilité à opérer une évaluation profonde et une revalorisation qui profiteraient aux jeunes générations, le combat contre le patriarcat risque de prendre beaucoup de temps et de surgir éventuellement de là où on l’attend le moins.
3.Troisième conclusion : De ce fait, pour redonner du souffle au combat féministe, il est vital de reconsidérer, aussi bien la vision que la démarche et les enjeux. L’intersectionnalité des combats, à la fois contre le patriarcat, l’autoritarisme et contre le système de rente capitaliste s’avère nécessaire. Dissocier ces combats, conduit à l’élitisme, à l’isolement et à l’inefficacité avec son lot de souffrance pour l’écrasante majorité des femmes.
C’est certes une lourde tâche, mais c’est à ce prix, qu’un nouveau souffle puisse être possible.
Latifa El Bouhsini
14 juin 2025